Rencontre-débat avec Jacques Wajnsztejn du 4 décembre 2021

Ce débat a été organisé à la suite de la parution de son livre : L’Opéraïsme italien au crible du temps, aux éditions À plus d’un titre. Vous pouvez trouver un enregistrement de la rencontre ici :

https://blog.tempscritiques.net/archives/podcast/debat-a-la-librairie-la-gryffe-sur-loperaisme-italien-au-crible-du-temps-le-4-decembre-2021

En voici un résumé écrit par un membre du collectif.

Que sait-on et quels enseignements peut-on retirer de « l’Opéraïsme italien » ?


Si le mot italien renvoie à « l’ouvriérisme », cette qualification, parfois idéologique renvoyant à une ligne politique qui exalte en France « l’ouvrier aux mains calleuses », n’a rien à voir avec ce que recouvre l’Opéraïsme en Italie. Fondée sur la priorité accordée au « point de vue ouvrier », ce courant politique s’est développé en Italie à partir des années soixante et a cherché à rénover la théorie marxiste à partir de la situation spécifique caractérisant alors en Italie le rapport de force entre la classe ouvrière et le capital en pleine modernisation. On peut dater de 1961 la naissance de ce courant avec la publication de la revue politique Quaderni Rossi ( Les Cahiers Rouges). Ce courant caractérise ensuite le journal Classe Operaia en 1964 pour finalement s’incarner dans le groupe Potere Operaio (disparu en 1975) dont Oreste Scalzone a dirigé le journal. D’autres groupes en Italie se sont ensuite nourris de l’expérience de ce courant.

Animé au départ par des militants et des intellectuels, dont la plupart sont issus du Parti Communiste Italien (alors un parti de masse) et sont nourris de lectures de Marx, ce courant se développe dans l’Italie industrielle à l’occasion d’une succession de luttes d’insubordination ouvrière au cours desquelles des grèves « sauvages » bousculent la routine des syndicats. Les groupes se réclamant de l’opéraïsme réussissent alors à « coller à ces pratiques d’insubordination ouvrière » en soutenant clairement l’auto-organisation qui se construit contre le
mouvement ouvrier institutionnel « travailliste-étatiste-syndical ». Le refus du travail, l’extension de la lutte en dehors de l’usine, les revendications autour du salaire, c’est-à-dire un salaire considéré comme indépendant de la production, agrègent autour de courant un mouvement composite qui attire de plus en plus les jeunes ouvriers. Entre 1968 et 1973, le refus d’accepter « l’usine » comme unique terrain d’affrontement de classes caractérise ce qui commence à se théoriser sous le nom d’Autonomie. Dès lors, dans les entreprises, les actes individuels et invisibles de sabotage, de résistance aux cadences, de détournement des machines sont potentiellement unifiables aux luttes ouvertes contre le patronat dans un même mouvement. De même le passage à la revendication d’un salaire garanti généralisé va permettre d’intégrer au mouvement les luttes sur le chômage et les luttes des femmes.

Si les premiers groupes opéraïstes plaçaient le refus du travail à l’intérieur de l’usine, le mouvement de 1977 ne voulait plus entendre parler de l’usine. Qualifié souvent de « vague autonome » ce mouvement de 1977 se développe en intégrant des étudiants et d’autres couches sociales dans des luttes et manifestations contre les partis et syndicats traditionnels pour poser des problèmes relatifs à la vie quotidienne. La revendication d’un salaire politique ne trouve cependant pas de débouché dans un mouvement politique plus large. Le courant opéraïste qui a été surtout « transversal » (en unifiant de nombreuses révoltes sans être unitaire) reste « le seul courant théorique issu du fil historique des luttes de classes » à avoir engendré un mouvement pratique dans les années soixante/soixante-dix qui a renoué avec le mouvement des conseils des années 1917-1923 sans y faire « référence explicitement ».

À partir du constat sur le faible nombre de récits relatifs à ce mouvement traduits en français, Jacques Wajnsztejn dans son livre L’Operaïsme italien au crible du temps (Suivi d’Opéraïsme et communisme d’Oreste Scalzone, Éditions À plus d’un titre, 2021) analyse l’évolution et la diversité de ce courant à partir d’une lecture attentive des témoignages des animateurs des différents groupes (Mario Tronti, Oreste Scalzone, Erri De Luca, Romano Alquati, Franco Berardi dit « Bifo », Raniero Panzieri, Toni Negri, Sergio Bologna, Ricardo d’Este …). Si pour J. Wanjnsztejn l’opéraïsme est la « dernière expression de la théorie du prolétariat … dans des conditions bien particulières, celles de l’Italie des années 1960-1970 » c’est aussi un mouvement qui s’est « trouvé partagé entre l’affirmation d’un pouvoir ouvrier et la perspective d’une révolution à titre humain ».

Pour compléter les informations sur l’opéraïsme, vous pouvez consulter et que nous avons en librairie :

Nanni Balestrini, Les invisibles, P.O.L, 1992
Nanni Balestrini, Primo Moroni, La horde d’or. La grande vague
révolutionnaire et créative, politique et existentielle. Italie
1968-1977, L’Éclat, 2017
Franco Berardi, Le ciel est enfin tombé sur la terre, Éd. Du Seuil, 1978
Antonio Negri, La classe ouvrière contre l’État, Galilée, 1978
Paolo Persichetti, Oreste Scalzone, La révolution et l’État, Dagorno,
2000
Marcello Tari, Autonomie ! Italie, les années 1970, La Fabrique , 2011
Mario Tronti, Ouvriers et capital, Entremonde, 2016
Mario Tronti, Nous opéraïstes. Le « roman de formation » des années
soixante en Italie, Ed. d’En bas/Éditions de L’Éclat, 2016
Devi Sacchetto, Gianni Sbrogio, Pouvoir ouvrier à Porto Marghera. Du
comité d’usine à l’assemblée régionale (Vénétie 1960-1980), Les nuits
rouges, 2012

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